ProgrammeFerias de Bayonne2021/2022

Objet

Suite au jugement du Tribunal Administratif de Pau du 29 septembre 2020 relatif à la légalité d’une délibération du conseil municipal imposant l’accès aux fêtes de Bayonne, le LEX a rédigé dans le cadre de l’appel interjeté par Me Macagno, avocat au barreau de Bayonne une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) relative à l’article du code général des collectivités territoriales applicable permettant d’imposer un droit de péage sur le domaine public.

Intérêt scientifique

Ce programme a été validé en raison de l’intérêt que pose la question de la conformité d’un tel droit de péage au regard des libertés et droits garantis par la Constitution dans un contexte de consécration majorée de dispositifs juridiques de valorisation de propriété des personnes publiques qui tendent à éluder les raisons et enjeux de l’affectation du domaine public et donc du libre usage de tous. Le Conseil Constitutionnel devra ainsi se prononcer sur les limites d’un tel dispositif au regard de ces enjeux.

Résultats

La constitutionnalité des péages culturels hors de question

Ordonnance du 7 juillet 2022 de rejet de demande de transmission de QPC relative à l’article L. 2213-6-1 du code général des collectivités territoriales.

 

L’ordonnance est rendue en réponse au dépôt d’une QPC rédigée par des étudiantes du LEX-Laboratoire d’Etudes Cliniques et Scientifiques de la Faculté de droit de Nantes sous la responsabilité de Frédéric Allaire, Professeur de droit public en charge de ce programme et Me Macagno, avocat mandataire du requérant. Ce programme a été développé en raison de l’intérêt scientifique que présente la question de la constitutionnalité d’un dispositif de péage sur le domaine public.

 

L’ordonnance du 7 juillet 2022 par laquelle la CAA de Bordeaux a refusé de transmettre la question prioritaire de constitutionalité (QPC) de l’article L. 2213-6-1 du code général des collectivités territoriales mérite moins un commentaire pour ses motifs que pour les moyens qu’elle élude. Issu de l’article 101 de loi n°2009-526 du 12 mai 2009, l’article L. 2213-6-1 du code général des collectivités territoriales suivant lequel « Le maire peut, dans la limite de deux fois par an, soumettre au paiement d’un droit l’accès des personnes à certaines voies ou à certaines portions de voies ou à certains secteurs de la commune à l’occasion de manifestations culturelles organisées sur la voie publique, sous réserve de la desserte des immeubles riverains » semblait pourtant soulever de nombreuses questions de conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution. Le président de la 3e chambre a jugé qu’elles étaient dépourvues de caractère sérieux.

La QPC a été introduite en appel d’un jugement du Tribunal administratif de Pau du 29 septembre 2020[1] relatif à la demande d’annulation de la délibération du 7 juin 2018 par laquelle le conseil municipal de Bayonne avait sur le fondement de la disposition législative contestée, conditionné l’accès aux férias de Bayonne, manifestation populaire réunissant près d’un million de personnes tous les ans[2], à un droit de péage de 8 euros. Le Tribunal administratif ayant accueilli partiellement la demande d’annulation des requérants, ceux-ci ont interjeté appel et formé à cette occasion une QPC.

La question dont on interrogera la décision de la CAA de conclure qu’elle est dépourvue de tout caractère sérieux présente dans l’institution d’un péage un objet qui juridiquement et administrativement constitue une curiosité tant les hypothèses sont exceptionnelles en raison précisément des atteintes aux libertés que le péage est susceptible d’emporter.

Apparu dans la langue française au cours du XIIème siècle, il correspondait au « droit de mettre le pied (dans un lieu) ». Ce droit était accordé aux seuls marchands qui acquittaient une taxe aux seigneurs afin de traverser leurs terres. Selon le dictionnaire de droit et de pratique de Jean-Claude de Ferrière de 1769[3], le droit de péage est « un droit qui se paye par les Marchands autres pour leurs marchandises, en passant par certaines Villes, Ponts & Rivières » qui « reçoit différens noms, comme barrage, à cause de la barre qui est sur le chemin pour marque du péage ; pontenage, ou passage du pont ; billette quand il y a un petit billot de bois pendu à un arbre ; branchiere, à cause de la branche à laquelle le billot est pendu à travers, pour montrer que ce droit se perçoit à cause qu’on traverse la terre du Seigneur ». Vestige de l’ancien régime, le droit de péage est historiquement une pratique archaïque qui était considérée dès le moyen âge comme une forme d’abus d’un système féodal dissident du pouvoir royal[4].

Selon Didier Veillon, de nombreuses tentatives de formalités et de restrictions (enregistrer et faire leurs pancartes en français afin de prévenir les marchands de l’existence d’un péage) furent faites sans succès pendant le règne de Louis XIV face à l’abus de pouvoir des seigneurs. Afin de supprimer ces péages, le pouvoir royal s’était engagé à les rembourser. Cependant, l’impécuniosité des finances royales ne permit pas de tenir ces engagements en dépit des dommages que ce système généralisé de péage emportait pour l’économie. Vécus comme une forme d’extorsion attentatoire à la liberté d’aller et venir et à la liberté du commerce, les péages firent l’objet de vives critiques à de nombreuses reprises dans les cahiers de doléances en 1789 dans lesquels il est demandé la suppression au titre de l’abolition des privilèges.

Ce droit de péage disparaîtra avec la Révolution suite à la résistance populaire (refusant de payer et enlevant symboliquement les pancartes) et à la pression politique au nom de la liberté du commerce. Le décret du 15 mars 1790 supprime le droit de péage qui sera institué de nouveau dans la loi du 14 floréal de l’an X pour la mise en place au titre IV d’un droit sur les bacs et les ponts avant d’être durablement supprimé par la loi du 30 juillet 1880 disposant qu’il « ne sera plus construit à l’avenir de ponts à péage sur les routes nationales ou départementales ». La décision du Conseil Constitutionnel du 12 juillet 1979[5] admettra à titre exceptionnel la réintroduction d’un droit de péage limité aux ouvrages routiers en vertu de la loi n° 79-591 du 12 juillet 1979 relative à certains ouvrages reliant les voies nationales ou départementales. N’ayant pas à cette époque jugé utile de consacrer la valeur constitutionnelle du principe de gratuité de circulation sur les voies publiques, le Conseil a considéré que la faculté d’instituer un droit de péage suivant les termes de la loi déférée pouvait être admise sans considérer qu’elle portât atteinte à la liberté d’aller et venir, principe de valeur constitutionnelle.

Cette déclaration de conformité ne saurait être interprétée que dans un sens strict en considération des termes et de l’objet même de la loi soumise à son contrôle dont il est manifeste qu’elle ne peut être comprise que relativement au champ d’application restreint du droit de péage ainsi consenti par la loi du 12 juillet 1979 en tant qu’elle emporte un risque de restriction grave voire de privation de la liberté d’aller et venir.

Ainsi que le Conseil Constitutionnel l’expose dans ses motifs, la constitutionnalité de la loi du 12 juillet 1979 s’apprécie en considération du fait qu’elle a « pour objet d’autoriser, à titre exceptionnel et temporaire et par dérogation à la loi du 30 juillet 1880, l’institution de redevances pour l’usage d’ouvrages d’art à classer dans la voirie nationale ou départementale, lorsque l’utilité, les dimensions et le coût de ces ouvrages ainsi que le service rendu aux usagers justifient cette opération ».

Le droit de péage ne semble ainsi admissible que dans la mesure où la privation de l’accès aux ouvrages et services rendus n’emporte pas de privation de la liberté d’aller et venir mais une simple restriction au motif que l’ouvrage présentait non le caractère de nécessité mais de facilité publique. Par conséquent, tant que le péage s’impose sur un ouvrage pour lequel il existe une solution alternative équivalente, son institution n’emporte pas une privation des libertés et droits dont il est le siège[6]. Ainsi en est-il de la totalité des dispositifs en vigueur à l’exception de celui objet de l’ordonnance, pour lesquels la liberté d’aller et venir ne subit qu’une restriction en raison de l’existence de solutions alternatives équivalentes qu’il s’agisse des péages autoroutiers[7] et péages fluviaux[8] pour lesquels existent des itinéraires bis ou des bacs, ou des péages urbains[9] qui n’empêchent pas l’accès aux centres-villes dès lors que les usagers empruntent un moyen de locomotion alternatif aux véhicules à moteur thermique[10].

L’absence du moindre caractère sérieux de la requête de transmission de la QPC est motivée par quelques lignes suivant lesquelles la CAA de Bordeaux considère qu’il « ressort de la rédaction des dispositions en litige que celles-ci subordonnent leur mise en œuvre à un contexte événementiel culturel spécifique, à une fréquence maximale biannuelle, à une portion du territoire communal circonscrite, sans préjudice de l’accès à des propriétés riveraines. Par suite, le législateur, en prenant le soin de mentionner les conditions et modalités restrictives dans lesquelles le pouvoir réglementaire peut y recourir, notamment destinées à préserver la liberté d’aller et venir, a entendu concilier l’usage des voies publiques avec l’impératif constitutionnel de respect de l’ensemble des droits et libertés invoquées par le requérant ».

De la sorte, le législateur ayant défini un champ d’application (peut-on faire autrement ?) à l’introduction d’un droit de péage, une telle précaution suffit à exclure toute atteinte à l’une des libertés constitutionnellement invoquées par les requérants. Il ne serait ainsi pas nécessaire d’examiner l’étendue de ce champ d’application et la portée de son régime pour apprécier sa conformité aux droits et libertés protégées par la Constitution quelles qu’elles soient par ailleurs (I). Ce faisant, il élude aussi la question de la portée du régime dérogatoire au droit de péage pour des motifs particuliers dont la seule réserve de « l’accès aux propriétés riveraines » ne semble pas soulever non plus d’interrogations particulières (II).

 

  • Un champ d’application étendu

 

Les motifs du rejet de la demande de transmission sont fondés sur la satisfaction du juge de trouver dans la disposition législative contestée un champ d’application matériel, temporel et territorial au droit de péage qui lui permette de conclure que la disposition est dépourvue de caractère sérieux. Dès lors, l’existence même d’un champ d’application indépendamment de son empire suffit à témoigner de la volonté du législateur de concilier la restriction de l’usage des voies publiques avec les droits et libertés invoqués par le requérant. Est ainsi indifférente au juge administratif l’étendue du champ d’application du régime de péage de sorte qu’il élude les questions relatives à l’ampleur des atteintes en l’occurrence à la liberté d’aller et venir ou à la liberté d’entreprendre qui peuvent être admises que lorsqu’elles ne sont pas disproportionnées[11].

 

  • Le champ d’application matériel large

 

L’article L. 2213-6-1 du code général des collectivités territoriales prévoit un droit de péage « à l’occasion de manifestations culturelles » qui devient sous la plume du juge d’appel un « contexte évènementiel culturel spécifique ». L’ajout des termes « événementiel » et « spécifique » qui ne figurent pas dans l’article L. 2213-6-1 du CGCT semble trahir une ambivalence à admettre précisément que la notion de « manifestation culturelle » est particulièrement large et que c’est à ce titre qu’elle pose la question du risque d’atteinte à la liberté d’aller et venir et à la liberté d’entreprendre.

En instituant un droit de péage pour alimenter le financement de « manifestations culturelles », le législateur a conféré à l’article L. 2213-6-1 du CGCT un champ d’application matériel on ne peut plus vaste tant le terme de « manifestation » recouvrant la plus simple expression d’une activité humaine et son épithète « culturel » sont susceptibles d’embrasser sans limite toute forme de vie sociale.  Ainsi, suivant une acception anthropologique de toute activité impliquant des femmes et des hommes, toute manifestation peut être recouverte du vernis de la culture dès lors que, comme Edgar Morin, l’on considère que « l’homme est un être culturel par nature parce qu’il est un être naturel par culture »[12].

La notion de « manifestation culturelle » est ainsi susceptible de justifier l’introduction d’un droit de péage dans des hypothèses particulièrement nombreuses du fait de son caractère générique permettant d’absorber toute expression artistique, touristique, patrimoniale, historique, spirituelle, de loisir, de convivialité, sportive, commémorative, etc.

En ce sens, l’empire de la notion émerge sans équivoque de l’intention du législateur : « Mais [les manifestations culturelles] prennent aujourd’hui une importance nouvelle. Tout en revêtant des formes très diverses – festivals artistiques, évocation d’événements historiques, animations de rue, reconstitution de festivités anciennes (fêtes ou foires médiévales ou Renaissance), manifestations folkloriques – elles ont en commun de répondre à une forte demande sociale »[13].

À cet égard, le juge administratif lui confère aussi un sens particulièrement large dès lors qu’il développe par ailleurs une acception couvrante de la qualification « culturelle » notamment par les différents jugements et arrêts dans lesquels il perçoit dans diverses pratiques religieuses une connotation culturelle subsidiaire qui confirme une acception englobante de la qualification.

Ainsi par exemple, le tribunal administratif de Montpellier dans un jugement du 3 novembre 2020, Association G[14] a-t-il admis que « si les fêtes de Saint Roch sont un évènement cultuel, elles s’accompagnent de plusieurs manifestations qui n’en ont pas le caractère et elles contribuent, en tout état de cause, au développement d’un tourisme spirituel, historique et culturel, qui entraîne des retombées économiques pour la ville de Montpellier. La découverte de l’histoire de Saint Roch et la visite de son sanctuaire, situé sur le chemin de Compostelle, font d’ailleurs partie de l’offre touristique proposée par la ville ».

Par un même effet d’attraction, le Conseil d’Etat a trouvé dans la pluralité de significations de manifestations religieuses, une portée culturelle. Ainsi retient-il dans l’arrêt Fédération de la libre pensée de Vendée du 9 novembre 2016[15] et l’arrêt rendu le même jour Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne[16] qu’une « crèche de Noël est une représentation susceptible de revêtir une pluralité de significations. Il s’agit en effet d’une scène qui fait partie de l’iconographie chrétienne et qui, par là, présente un caractère religieux. Mais il s’agit aussi d’un élément faisant partie des décorations et illustrations qui accompagnent traditionnellement, sans signification religieuse particulière, les fêtes de fin d’année. Eu égard à cette pluralité de significations, l’installation d’une crèche de Noël, à titre temporaire, à l’initiative d’une personne publique, dans un emplacement public, n’est légalement possible que lorsqu’elle présente un caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d’un culte ou marquer une préférence religieuse ».

En retenant comme terme du champ d’application matériel de l’article L.2213-6-1 du CGCT la notion de « manifestation culturelle », le législateur ouvre ainsi une faculté d’institution généralisée d’un droit de péage qui pourrait notamment dans le contexte jurisprudentiel de la définition des activités cultuelles ouvrir la voie au contrôle et à la financiarisation de manifestations, pèlerinages ou processions. Pour autant, la CAA de Bordeaux n’y a pas vu motifs à questionnement, pas davantage que dans l’application du droit de péage dans l’espace et dans le temps.

 

  • Le champ d’application territorial vaste

 

Pourtant, l’article L.2213-6-1 du CGCT détermine par ailleurs un champ d’application territorial particulièrement large en permettant un droit de péage étendu pouvant couvrir « certaines voies ou certaines portions de voies ou certains secteurs de la commune ».

En faisant référence aux notions de « voie » et surtout de « secteur » que le législateur a accordées en nombre, il offre la possibilité de couvrir une partie majoritaire du domaine public communal. Cette portée procède non seulement du pluriel mais aussi de la notion même de secteur dont la définition générique retient qu’il constitue une « division d’un territoire en vue d’une répartition des tâches dans le cadre d’une gestion d’ensemble ». Cette conception rejoint ainsi la définition juridique issue de la loi n° 62-903 du 4 août 1962 complétant la législation sur la protection du patrimoine historique et esthétique de la France et tendant à faciliter la restauration immobilière, dite loi Malraux suivant laquelle un secteur sauvegardé consiste en un « secteur présentant un caractère historique, esthétique ou de nature à justifier la conservation, la restauration et la mise en valeur de tout ou partie d’un ensemble d’immeubles »[17].

Dès lors, il ressort du champ d’application territorial de l’article L.2213-6-1 du CGCT qu’il ne repose sur aucune délimitation circonscrite a priori relevant d’une réalité physique, juridique ou administrative. Mais encore, la définition de secteur procédant de l’homogénéité d’une activité, c’est bien l’assise de la manifestation culturelle qui confère à l’espace occupé la qualité de secteur. De l’ampleur de la manifestation dépend ainsi son emprise et donc l’étendue du droit de péage.

De la sorte, la seule limite imposée par le champ d’application territorial réside dans l’interdiction de couvrir la totalité du territoire communal. En l’espèce du litige auquel est appliquée la disposition contestée, le Maire de la commune de Bayonne avait mis en place à l’occasion des fêtes de Bayonne de l’année 2018 un droit de péage couvrant l’ensemble du centre-ville et plusieurs quartiers de Bayonne.

S’agissant enfin de l’institution d’un droit de péage pour des manifestations culturelles sur la quasi-totalité du territoire communal, le champ d’application dans le temps n’est guère plus restrictif puisqu’il peut le justifier de manière permanente.

 

  • Le champ d’application temporel permanent

 

Suivant l’article L.2213-6-1 du CGCT, le péage culturel peut être permanent dès lors qu’il institue la possibilité de mettre en place le droit d’accès “dans la limite de deux fois par an”.

Ainsi, seule la réitération est limitée, sans précision de durée de chacun des dispositifs de péage. Une application orthodoxe pourrait permettre un droit de péage à l’année sur le territoire d’une commune, puisque chacune des manifestations ou les deux cumulées pourrait atteindre un an. Si l’on songe à certains évènements comme le Voyage à Nantes, les rencontres d’Arles ou le festival de la Gacilly qui durent chacun plusieurs mois par an, on peine à comprendre comment la question de la constitutionnalité d’un tel dispositif pouvait échapper à toute discussion.

Ainsi, bien que le champ d’application particulièrement large de l’article L.2213-6-1 du CGCT aurait pu justifier d’apprécier son incidence sur les droits et libertés invoqués, il pouvait néanmoins être considéré qu’un régime dérogatoire approprié pouvait en limiter la portée. Cependant, la CAA de Bordeaux s’en est tenue à la réserve d’un « accès aux propriétés riveraines » prévu à l’article L.2213-6-1 du CGCT écartant plusieurs autres hypothèses qui pouvaient poser la question d’une atteinte aggravée à des droits et libertés garantis par la Constitution tels qu’en l’occurrence la liberté d’entreprendre, le droit à la vie privée et la liberté de culte.

 

  • Un régime dérogatoire limité

 

En se cantonnant à reprendre les termes de l’article L.2213-6-1 du CGCT qui se limite à prévoir comme seule dérogation au droit de péage « l’accès aux propriétés riveraines », le juge de la CAA de Bordeaux élude toutes les autres situations dans lesquelles l’institution d’un droit de péage sur un domaine public sans affectation particulière serait constitutive d’atteintes aux droits et libertés garantis par la Constitution.

 

  • L’accès aux commerces

 

Alors que l’article L.2213-6-1 du Code général des collectivités territoriales permet d’instituer sur la quasi-totalité du territoire communal un droit de péage permanent, l’atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie aurait pu être discutée considérant que « la liberté, qui aux termes de l’article 4 de la Déclaration consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, ne saurait elle-même être préservée si des restrictions arbitraires ou abusives étaient apportées à la liberté d’entreprendre »[18] admettant des limitations « liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi »[19].

La discussion aurait pu porter sur plusieurs points.

En premier lieu, auraient pu être interrogés les motifs de l’introduction d’un droit de péage considérant que le motif financier qui constitue le fondement exclusif du dispositif de péage ne saurait à lui seul constituer un motif d’intérêt général.

En second lieu, le Conseil Constitutionnel s’il avait été saisi de cette question, aurait pu aussi caractériser l’atteinte qu’emporte en lui-même un droit de péage dont le champ d’application par ailleurs particulièrement large n’est assorti que de la seule dérogation aménagée pour « l’accès aux propriétés riveraines ». En ne prévoyant que cette seule hypothèse dérogatoire, le législateur a soumis l’accès à l’ensemble des activités commerciales incluses dans le périmètre de la manifestation culturelle au paiement préalable d’une taxe auquel ne peut échapper tout client souhaitant accéder à ces établissements. Cette taxation aussi problématique au regard de la liberté du commerce et de l’industrie que du principe d’égalité entre commerçants dans et hors périmètre de la manifestation culturelle pouvait-elle même prévoir un régime dérogatoire efficient ? On ne voit pas bien comment pourrait être justifié d’un accès dérogatoire à une telle zone sans qu’il ne soit apporté de preuve d’une situation d’exemption qui ne serait pas susceptible de priver le dispositif de tout caractère opérationnel. De la sorte, un tel droit de péage sur un domaine public dépourvu d’affectation spéciale prive nécessairement du bénéfice des activités diverses et variées dont il est susceptible d’être le siège ou d’en garantir l’accès au point qu’il pourrait être déduit qu’il est consubstantiellement incompatible avec plusieurs libertés dont en l’espèce celle de pratiquer les activités industrielles et commerciales. Les termes mêmes empruntés au droit de la police administrative et de la domanialité publique dans la mise en œuvre de régimes de restriction « d’accès aux propriétés riveraines » des voies publiques trahissent une transposition confuse dès lors que la notion de « riverain » ne fait plus sens sur un espace qui ne comporte de restrictions non plus seulement pour ceux qui le bordent mais pour tous ceux qui y sont inclus.

En l’espèce du litige auquel était appliqué l’article L.2213-6-1 du CGCT, le dispositif de péage avait affecté plusieurs centaines de commerces dans le périmètre du péage pendant une période particulièrement propice à ces activités en raison même de l’attrait que suscite l’évènement festif soumis au dispositif.

Enfin, la disproportion de l’atteinte pourrait aussi procéder du silence du dispositif s’agissant du montant de la redevance pouvant être fixé de sorte qu’elle peut tout aussi bien être symbolique qu’exorbitante dès lors qu’il n’a pas été inscrit dans la loi de régime contrôlé ou plafonné de fixation. Le silence de la loi sur les modalités de détermination du montant est d’ailleurs à ce point problématique que les juges du fond ont dû s’interroger pour qualifier ce droit de péage et conclure en premier instance qu’il s’agissait d’une taxe et non d’une redevance comme l’avait qualifiée le législateur[20].

Le raisonnement est analogue pour les activités autres que commerciales sur des fondements différents bénéficiant pourtant d’une protection renforcée dans la jurisprudence constitutionnelle. Il n’a pas davantage entamé la conviction de l’auteur de l’ordonnance de non-transmission.

 

  • L’accès à des lieux confidentiels

 

En effet, il pouvait aussi être interrogé la constitutionnalité de l’article L.2213-6-1 du Code général des collectivités territoriales à l’aune du droit au respect de la vie privée en ce que faute de dispositif dérogatoire approprié, il implique que les usagers des espaces publics soumis à péage, soit s’acquittent du montant des droits sollicités pour accéder à des lieux, personnes et activités à l’intérieur du périmètre délimité, qui peuvent être étrangers à la manifestation culturelle, soit doivent faire état des motifs d’accès à la zone contrôlée en les dévoilant et en soumettant leur demande à l’appréciation préalable des autorités de contrôle pour en être exonérés.

Or, depuis la décision du Conseil Constitutionnel du 23 juillet 1999[21], le droit au respect de la vie privée est garanti par la Constitution sur le fondement de l’article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 dont le Conseil défend d’une part, le « secret de la vie privée » consistant à ce que personne ne sache ou n’ait de raison de savoir ce que l’on fait et d’autre part, la « liberté de la vie privée » qui consiste à faire ce que l’on veut.

Par conséquent, la compatibilité d’un dispositif de péage avec la liberté d’aller et venir dans ces espaces publics sous contrôle ne peut être garantie sans emporter d’atteinte à la vie privée dès lors que seule la desserte des immeubles riverains est admise pour en exonérer les usagers du domaine public. En toute hypothèse, il ne peut être prévu d’exceptions autres que celle-ci dès lors que ce motif serait le seul à même d’être invoqué sur simple présentation d’un titre d’habitation sans que la production de cette attestation n’emporte de renseignements sur la vie privée des demandeurs. Dans toute autre hypothèse, un régime d’exonération du droit de péage pour lever les restrictions à la liberté d’aller et venir serait constitutif d’une atteinte à la vie privée tout autant par le régime d’autorisation préalable qu’il impose que par l’atteinte au secret de la vie privée qui en résulte.

Les conséquences d’un droit de péage sur les activités privées communes, pour lesquelles il serait inconstitutionnel d’admettre que les pouvoirs publics puissent exercer leur empire pour déterminer dans quelles conditions certains usagers peuvent bénéficier d’une dérogation, sont nombreuses au regard de l’affection générale du domaine public susceptible de faire l’objet d’un droit d’accès. Outre les atteintes que certaines activités peuvent supporter à l’aune de la liberté du commerce et de l’industrie des opérateurs économiques, il en est de nombreuses constitutives d’une remise en cause de la liberté personnelle. On imagine par exemple, un client d’un sex-shop ou d’un club de libertinage devant pour ne pas s’acquitter du droit de péage justifier de sa volonté d’accéder à ces lieux. On s’interrogerait alors sur les modes de preuves permettant aux autorités péagères d’admettre ce motif : une facture, une invitation, une carte de fidélité… En l’espèce du litige auquel est appliquée la disposition contestée, le périmètre des fêtes de Bayonne comprend un club libertin Sauna.

En outre, certaines activités bénéficient d’un régime spécial visant à renforcer la confidentialité des consultations mêmes, telles que les activités médicales ou encore judiciaires. Un patient devrait ainsi justifier des motifs de consultation de son psychiatre pour accéder à son cabinet situé à l’intérieur du périmètre de la manifestation soumise à droit de péage en violation manifeste du droit au secret médical. De même pourrait-il en être pour le client souhaitant rendre visite à son avocat. En l’espèce du litige auquel était appliquée la disposition contestée, le périmètre des fêtes de Bayonne comprenait une dizaine de cabinets de médecins généralistes, autant de psychiatres, trois psychologues, quatre gynécologues-obstétriciens et une vingtaine d’avocats dont le conseil de l’ordre.

Au demeurant, si certaines atteintes au droit au respect de la vie privée sont admises en considération d’exigences constitutionnelles, elles doivent avoir pour objectif la recherche des auteurs d’infractions[22] ou la sauvegarde de l’ordre public[23]. Or, comme il en a déjà été fait état, il ressort des travaux parlementaires à l’origine du dispositif contesté que le droit d’accès est justifié par le seul motif financier de viabilité des manifestations culturelles sur la voie publique.

Enfin, parmi les hypothèses éludées par l’ordonnance de la CAA de Bordeaux, pouvait en outre figurer au titre du droit au respect de la vie privée, l’accès aux lieux de culte lequel bénéficie par ailleurs d’une protection particulière au titre de la liberté religieuse.

 

  • L’accès aux lieux de cultes

 

S’agissant de l’accès à des lieux de culte inclus dans le périmètre d’un secteur soumis à péage, les fidèles n’auront d’autres choix que de s’acquitter du droit de péage librement déterminé par les autorités publiques pour prendre part à un office religieux ou simplement pénétrer dans un lieu de culte. Ce dispositif semblait soulever d’importantes objections tant au regard de la liberté de culte que de la liberté de conscience dans une situation d’espèce pourtant particulièrement explicite dès lors que le périmètre des fêtes de Bayonne enceint quatre lieux de culte (la Cathédrale Sainte-Marie de Bayonne, l’église Saint-André, l’église Protestante Unie de France et l’église Saint Esprit) assurant des offices religieux les fins de semaines aux mêmes dates et horaires que celles pendant lesquelles la commune de Bayonne a mis en place un droit de péage pour financer les férias.

La première objection procède du point de savoir si, suivant la jurisprudence constitutionnelle, une telle restriction d’accès pouvait se justifier considérant que l’article 1er de la Constitution et l’article 10 de la Déclaration de 1789 consacre le principe de laïcité imposant notamment que la République garantisse le libre exercice des cultes[24]. De la sorte, le législateur doit assurer une conciliation qui ne soit pas manifestement déséquilibrée entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et, d’autre part, le libre exercice des cultes.

Cependant, comme il l’a déjà été explicité, le droit de péage n’est aucunement justifié par un motif de prévention des atteintes à l’ordre public mais par un simple objectif financier qui ne figure pas au nombre des motifs justifiant une restriction d’accès aux lieux de culte. En outre comme l’a reconnu le Conseil d’Etat, la libre disposition des édifices du culte est un préalable à l’exercice effectif de la liberté de culte[25].

Au demeurant, bien que l’hypothèse de levée des restrictions d’accès aux lieux de culte n’ait pas été envisagée par le législateur en cas de mise en œuvre d’un dispositif de péage incluant des édifices religieux, il faut noter qu’une telle dérogation serait probablement aussi difficilement compatible avec le respect de la liberté de conscience dont le Conseil constitutionnel retient que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi »[26]. Il paraît ainsi inenvisageable de prévoir un régime dérogatoire impliquant que les fidèles fassent état de leur croyance et de leur souhait de les pratiquer et présentent les justificatifs nécessaires à l’appréciation des preuves et témoignages de foi justifiant de bénéficier d’une dérogation au droit de péage.

 

Considérant l’ensemble de ces observations, on ne peut qu’être sceptique tant sur les motifs que sur le dispositif de cette ordonnance qui soulève autant de questions sur la compatibilité entre une conception propriétariste de plus en plus étendu du domaine public et les libertés fondamentales, que sur l’office du juge administratif dans la procédure de QPC[27] dont l’ordonnance de non-transmission n’est pas ici sans évoquer une simple ordonnance de tri.

[1]TA de Pau, 29 septembre 2020, n°1801241, comm. M. LE ROUX, Contrôle juridictionnel de la mise en œuvre du droit d’accès aux voies publiques à l’occasion des fêtes de Bayonne, AJDA 2021 p.1383.

[2]https://www.ladepeche.fr/2022/07/20/fetes-de-bayonne-2022-decouvrez-le-programme-des-ferias-10444194.php#:~:text=Elles%20drainent%20chaque%20ann%C3%A9e%20pr%C3%A8s,pour%20cause%20de%20Covid%2D19.

[3]J.-C. DE FERRIERE, Dictionnaire de droit et de pratique, Paris, 1769, p.303.

[4]D. VEILLON, Formalisme et Néoformalisme, sous la dir. de Michel Boudot, Marianne Faure-Abbad, Marco Urbano Sperandio, Didier Veillon, Presses universitaires juridiques de Poitiers, Université de Poitiers, Collection de la Faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers, LGDJ, 2017, p. 47-55.

[5]CC, 12 juillet 1979, n° 79-107 DC, Loi relative à certains ouvrages reliant les voies nationales ou départementales, Rec. Cons. const. 1979, p. 31 ; GDDAB, 3e éd., 2018, n° 68, obs. Melleray ; RDP 1979, p. 1691, chron. Favoreu.

[6]Décision n° 2017-631 QPC du 24 mai 2017, Association pour la gratuité du pont de l’île d’Oléron, « En vertu du premier alinéa de l’article L. 321-11 du code de l’environnement, seuls les passagers des véhicules terrestres à moteur sont redevables de l’imposition. Ceux utilisant d’autres moyens de transport pour se rendre sur l’île n’y sont pas soumis ». Comm. Louis BAHOUGNE, « Gentry et Pont à péage » : Cons. const., 24 mai 2017, n° 2017-631, QPC, Droit Administratif n° 3, Mars 2018, chron. 1.

[7]Loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.

[8]Loi n° 90-1168 du 29 décembre 1990 de finances pour 1991.

[9]Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement.

[10]Suivant ce dispositif introduit par l’article 65 de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, « le péage urbain ne peut être instauré qu’après la mise en place d’infrastructures et de services de transport collectif susceptibles d’accueillir le report de trafic lié à l’instauration du péage ».

[11]CC, n°2000-439 DC du 16 janvier 2001, Loi relative à l’archéologie préventive ; CC, n° 2012-285 QPC du 30 novembre 2012, M. Christian S.

[12]E. MORIN, Le paradigme perdu : la nature humaine, Seuil, coll. Points Essais, 1979, p. 222.

[13]Proposition de loi relative à l’accès aux manifestations culturelles sur la voie publique, rapport n° 124 (2000-2001) de M. Philippe NACHBAR, fait au nom de la commission des affaires culturelles, déposé le 6 décembre 2000.

[14]TA de Montpellier, 3 novembre 2020, n°1804799, Association G.

[15]CE, 9 novembre 2016, n°395223, Fédération de la libre pensée de Vendée.

[16]CE, 9 novembre 2016, n°395122, Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne.

[17]Ancienne rédaction de l’article L.313-1 du Code de l’urbanisme.

[18]CC, n°81-132 DC, du 16 janviers 1982 relative à la loi de nationalisation.

[19]CC, n°2000-439 DC du 16 janvier 2001, Loi relative à l’archéologie préventive.

[20]M. LE ROUX, Contrôle juridictionnel de la mise en œuvre du droit d’accès aux voies publiques à l’occasion des fêtes de Bayonne, op.cit.

[21]CC, 23 juillet 1999, n° 99-416 DC, Loi portant création d’une couverture maladie universelle.

[22]CC, 29 novembre 2013, n° 2013-357 QPC.

[23]CC, 21 février 2008, n° 2008-562 DC, Loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

[24]CC, 29 mars 2018, n° 2017-695 QPC.

[25]CE, 25 août 2005, n° 284307, Commune de Massat ; CE, 30 juin 2016, n° 400841, Maire de la ville de Nice.

[26]CC, 2013-353 QPC, 18 octobre 2013, cons. 7.

[27]Seules 5,58% des QPC déposées devant les TA et CAA font l’objet d’une transmission, Rapport public 2021 – Activité juridictionnelle et consultative des juridictions administratives, juillet 2022, p. 43.